Lorsque nous sommes encore au
milieu de cette crise sanitaire du Covid-19 qui a touché presque toute la
planète, dans le coin isolé de chacun, des petites histoires se déclenchent
devant nos yeux et nous frappent en différentes manières.
Un an après avoir vu brûler la
cathédrale Notre-Dame dans la stupeur générale des Parisiens et du monde entier,
un événement de fort impact émotionnel et symbolique, juste à 20 h, au milieu d’une
Ville Lumière presque déserte, le fa dièse du bourdon « Emmanuel » de
la cathédrale se fait entendre à nouveau (1), en souvenir de ce triste
événement, mais aussi pour rendre hommage à l’armée de soignants qui laissent
tout pour secourir les plus souffrants. Les sons portés par le vent de cette
cloche vénérable (2)
semblaient exprimer ce qui remplissait le cœur des téléspectateurs, que ce soit
dans la prière personnelle ou même avec un sentiment d’impuissance.
Cinq jours plus tard, le Vendredi
Saint, dans un coin de la Cathédrale blessée, nous avons vu l’archevêque de
Paris Mgr Aupetit vénérer la Sainte Couronne d’épines, sauvée
miraculeusement d’entre les décombres, pendant que s’entendait une émouvante
interprétation de l’Ave Maria. Nous avons vu aussi le Pape donnant la
bénédiction Urbi et Orbi devant une place déserte : seulement les caméras et
quelques techniciens et personnel du Vatican, un scénario digne d’un film de science-fiction.
Nous avons vécu enfin une Semaine Sainte « à distance », avec notre
chant restreint dans les quelques mètres carrés de nos séjours. Dans la plupart
des pays, c’était la première Semaine Sainte sans fidèles de l’histoire de l’Église,
sans réponse directe de la foule priante, n’ayant pas de présence physique. C’était
le cas pour Fontfroide, où le Chœur grégorien de Paris était absent pour la
première fois depuis trois décennies.
Néanmoins, quelques-uns des
membres du CGP ont trouvé le moyen de chanter grâce aux ressources
informatiques en utilisant une présence virtuelle, image de notre rassemblement
dans le mystère de l’Église pendant tout ce confinement. C’était un autre
miracle, de forme inédite. Comment pouvoir faire un chœur en restant chez
soi ? Cela appartient aux « signes des temps », ce lieu
théologique rétabli pour Jean XXIII (3) dans les tumultueuses années
1960.
STELLA CAELI EXTIRPAVIT
Dans cette épreuve pleine de souffrances que traverse toute l’humanité,
Dieu s'exprime dans la solidarité des uns envers les autres, mais il fait aussi
sentir sa Présence dans le silence inouï de la nuit au milieu de nos foyers
devenus de petites églises domestiques. Oui, Il se fait entendre, en permettant
par sa Résurrection de faire renaître le bien au cœur des hommes et des femmes in
hac lacrimarum valle, et particulièrement par Sa Parole diffusée par les mass
médias, et jusqu’au cœur de chacun. Ainsi, l’incomparable instrument de prière
et de beauté qu’est le chant grégorien a trouvé sa place dans la toile de l’internet.
C’est le cas d’une prière pour
le temps d’épidémie appelée Stella caeli extirpavit dont la Tradition affirme (4) qu’elle fut écrite vers
1317 par saint Barthélémy apparaissant aux moniales clarisses de Coimbra
(Portugal) en moment que la peste ravageait la ville.
Et
leur couvent fut miraculeusement épargné. Des traces de la tradition manuscrite
de cette pièce se retrouvent dans Analecta Hymnica medii ævi, la monumentale
œuvre du jésuite Clemens Blume, où elle apparait dans un texte flamand daté de
1477. Pour la mélodie, la chose est plus complexe. En effet, bien qu’il semble
clair qu’on parle à l’origine d’une « antienne », et même si elle est
suivie d’un verset et d’une prière, il semble évident qu’à cause de sa versification
et des rimes, le texte s’adapterait plus à la forme des œuvres en prose ou des séquences
de l’époque. La version largement diffusée et priée de nos jours est celle qui est
reproduite ci-dessus, tirée du Cantuale Romano-Seraphicum d’Eliseo
Bruning (5) qui utilise la mélodie de Stella
maris o Maria ou encore O Francisce Christiforme, pièce chère à la
tradition séraphique (6).
Alors,
aujourd’hui comme hier, le plain-chant désincarné touche nos fibres les plus
intimes et fait renaître en nous l’attente du miracle, le retour à une normalité
peut être nouvelle, plus enracinée et nourrie de choses véritables, transcendantes,
simples, humbles. Comme l’écho d’un chant grégorien.
Enrique
Merello-Guilleminot
(6) Un article de grand
érudition a été publié par Juan Carlos Asensio et Juan Ruiz Jiménez sur
l’histoire de cette prière [Voir ASENSIO PALACIOS Juan Carlos, RUIZ JIMÉNEZ,
Juan (2020): Stella cæli extirpavit una antífona contra la peste.
Historical soundscape. ISSN : 2603-686X, DL: GR107-2018,
http://www.historicalsoundscapes.com/evento/en/1105/coimbra/es]
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