miércoles, 29 de abril de 2020

DES MIRACLES, ABSENCES ET PRÉSENCE


Lorsque nous sommes encore au milieu de cette crise sanitaire du Covid-19 qui a touché presque toute la planète, dans le coin isolé de chacun, des petites histoires se déclenchent devant nos yeux et nous frappent en différentes manières.

Un an après avoir vu brûler la cathédrale Notre-Dame dans la stupeur générale des Parisiens et du monde entier, un événement de fort impact émotionnel et symbolique, juste à 20 h, au milieu d’une Ville Lumière presque déserte, le fa dièse du bourdon « Emmanuel » de la cathédrale se fait entendre à nouveau (1), en souvenir de ce triste événement, mais aussi pour rendre hommage à l’armée de soignants qui laissent tout pour secourir les plus souffrants. Les sons portés par le vent de cette cloche vénérable (2) semblaient exprimer ce qui remplissait le cœur des téléspectateurs, que ce soit dans la prière personnelle ou même avec un sentiment d’impuissance.

Cinq jours plus tard, le Vendredi Saint, dans un coin de la Cathédrale blessée, nous avons vu l’archevêque de Paris Mgr Aupetit vénérer la Sainte Couronne d’épines, sauvée miraculeusement d’entre les décombres, pendant que s’entendait une émouvante interprétation de l’Ave Maria. Nous avons vu aussi le Pape donnant la bénédiction Urbi et Orbi devant une place déserte : seulement les caméras et quelques techniciens et personnel du Vatican, un scénario digne d’un film de science-fiction. Nous avons vécu enfin une Semaine Sainte « à distance », avec notre chant restreint dans les quelques mètres carrés de nos séjours. Dans la plupart des pays, c’était la première Semaine Sainte sans fidèles de l’histoire de l’Église, sans réponse directe de la foule priante, n’ayant pas de présence physique. C’était le cas pour Fontfroide, où le Chœur grégorien de Paris était absent pour la première fois depuis trois décennies.

Néanmoins, quelques-uns des membres du CGP ont trouvé le moyen de chanter grâce aux ressources informatiques en utilisant une présence virtuelle, image de notre rassemblement dans le mystère de l’Église pendant tout ce confinement. C’était un autre miracle, de forme inédite. Comment pouvoir faire un chœur en restant chez soi ? Cela appartient aux « signes des temps », ce lieu théologique rétabli pour Jean XXIII (3) dans les tumultueuses années 1960. 

STELLA CAELI EXTIRPAVIT

Dans cette épreuve pleine de souffrances que traverse toute l’humanité, Dieu s'exprime dans la solidarité des uns envers les autres, mais il fait aussi sentir sa Présence dans le silence inouï de la nuit au milieu de nos foyers devenus de petites églises domestiques. Oui, Il se fait entendre, en permettant par sa Résurrection de faire renaître le bien au cœur des hommes et des femmes in hac lacrimarum valle, et particulièrement par Sa Parole diffusée par les mass médias, et jusqu’au cœur de chacun. Ainsi, l’incomparable instrument de prière et de beauté qu’est le chant grégorien a trouvé sa place dans la toile de l’internet. 

C’est le cas d’une prière pour le temps d’épidémie appelée Stella caeli extirpavit dont la Tradition affirme (4) qu’elle fut écrite vers 1317 par saint Barthélémy apparaissant aux moniales clarisses de Coimbra (Portugal) en moment que la peste ravageait la ville. 

 

Et leur couvent fut miraculeusement épargné. Des traces de la tradition manuscrite de cette pièce se retrouvent dans Analecta Hymnica medii ævi, la monumentale œuvre du jésuite Clemens Blume, où elle apparait dans un texte flamand daté de 1477. Pour la mélodie, la chose est plus complexe. En effet, bien qu’il semble clair qu’on parle à l’origine d’une « antienne », et même si elle est suivie d’un verset et d’une prière, il semble évident qu’à cause de sa versification et des rimes, le texte s’adapterait plus à la forme des œuvres en prose ou des séquences de l’époque. La version largement diffusée et priée de nos jours est celle qui est reproduite ci-dessus, tirée du Cantuale Romano-Seraphicum d’Eliseo Bruning (5) qui utilise la mélodie de Stella maris o Maria ou encore O Francisce Christiforme, pièce chère à la tradition séraphique (6).

Alors, aujourd’hui comme hier, le plain-chant désincarné touche nos fibres les plus intimes et fait renaître en nous l’attente du miracle, le retour à une normalité peut être nouvelle, plus enracinée et nourrie de choses véritables, transcendantes, simples, humbles. Comme l’écho d’un chant grégorien.
Enrique Merello-Guilleminot


(1) La première fois après l’incendie c’était lors de la sortie du cecueil du Président Chirac des Invalides, le 30 septembre 2019, quand la cloche sonné le glas.
(2) On dit souvent que les cloches sont les uniques instruments qui sonnent depuis le ciel et pour le Ciel.
(3) Voir Jean XXIII, Humanae Salutis 25.12.61.
(4) Voir AURIEMMA, T. (1711) : Affetti scambievoli tra la Vergine Santissima, e suoi divoti ..., Nicolo Pezzana, Venezia, vol. 1. p.120-122.
(5) Voir BRUNING, E. (1951): Cantuale Romano-Seraphicum, Desclée & Socii, Parisiis, tornaci, Romae, pp. 136-137.
(6) Un article de grand érudition a été publié par Juan Carlos Asensio et Juan Ruiz Jiménez sur l’histoire de cette prière [Voir ASENSIO PALACIOS Juan Carlos, RUIZ JIMÉNEZ, Juan (2020): Stella cæli extirpavit una antífona contra la peste. Historical soundscape. ISSN : 2603-686X, DL: GR107-2018, http://www.historicalsoundscapes.com/evento/en/1105/coimbra/es]