sábado, 20 de mayo de 2017

Fontfroide, abbaye chantante

Il existe dans l’Aude, tout près de Narbonne, un ensemble monastique extraordinaire, datant du xiie siècle. C’est l’abbaye de Fontfroide, un couvent cistercien miraculeusement conservé auquel chaque année et depuis 30 ans, le Chœur grégorien de Paris (CGP) y séjourne pour chanter l’office complet de la Semaine Sainte. Cet anniversaire est l’occasion de consacrer quelques lignes à cet ensemble monastique et à sa profonde signification pour nous tous…

Entourée d’une nature surprenante, dans les collines, la verdure et les vignobles, l’abbaye de Fontfroide est un endroit véritablement privilégié. Sa vallée, empreinte de sérénité, sous un ciel bleu plein de lumière, conduit les âmes à s’exprimer comme saint Bernard : O beata solitudo, o sola beatitudo ! Son histoire est vaste et pleine de contrastes (1). Bénéficiant d’une autorisation du vicomte Aymeric II de Narbonne de s’établir en ses domaines, vers 1093, le premier monastère a été fondé dans le massif de Fontfroide. Comme partout, ses moines suivaient la Règle des moines de saint Benoît de Nursie. Peu après ils s’affilient à l’ordre Cîteaux, dans la lignée de Clairvaux. Une extrême austérité, une observance rigoureuse de l’esprit de la Règle, caractéristiques chez les cisterciens, semblent encore présentes dans les différents espaces du lieu. 

Ainsi, l’imposante abbatiale de 20 m de haut est le témoignage d’une recherche d’un dépouillement total,  presque sans aucun ornement, typique de l’art cistercien. Tout aussi magnifique est le cloître, avec ses arcatures, ses oculi et ses colonnettes ornés de beaux chapiteaux à décor de feuillages. Donnant sur le cloître, selon le plan classique des monastères de l’époque, se trouve la salle capitulaire, d’une belle simplicité. C’était l’endroit où l’on priait, où on lisait les différents chapitres de la Règle de saint Benoît – un par jour, d’où le nom qui désigne le lieu – et pour écouter la parole du père abbé.

Vue d'ensemble de l'abbatial depuis le roseraie.


Fontfroide a eu des grands abbés, parmi eux Jacques Fournier (ca. 1280-1342) devenu Benoît XII, pape à Avignon pendant une époque difficile dans la vie de l’Église.  Puis, en 1476, commence l’époque de la commende, un système par lequel on sécularise la dignité et les fonctions des abbés, désormais non plus des religieux issu de l’Ordre et élus par les moines, mais nommés par le pape,  puis par le roi lui-même. Le monastère témoigne du goût de ses occupants pour l’art et de leur intérêt aménager les bâtiments, jusqu’à la fin de ce régime de la commende, vers le milieu du xviiie siècle ; on leur doit le porche d’entrée de l’abbaye, dans la cour d’honneur, la cour dite « Louis XIV » et les travaux dans l’ancien réfectoire. Après de la Révolution et la mise en vente comme bien national, il faut attendre jusqu’à 1858 pour retrouver une vie monastique sur place, quand s’installent les moines « cisterciens de l’Immaculée Conception » venus dans ce lieu pour faire renaître l’esprit des anciens habitants, l’ora et labora, la prière et le travail. On se souvient encore du Père Jean, le dernier abbé, mort en odeur de sainteté en 1895, dont la cause de béatification est actuellement en cours à Rome. Peu après, les lois anticléricales obligent aux moines à quitter Fontfroide, en date du 1er octobre 1901. 

Le monastère devient alors pour quelques décennies la propriété de particuliers qui apportent peu de soin au domaine, délaissé et à l’abandon, jusqu’au jour de la saint Grégoire de 1906,  où le célèbre pianiste espagnol Ricardo Viñes et quelques amis découvrent l’abbaye de Fontfroide. Cette visite est le point de départ d’une période de renaissance dans laquelle un couple issu de vieilles familles languedociennes s’engage pour sauver, restaurer et faire à nouveau de Fontfroide un centre de rayonnement pour la culture et l’esprit. C’est en effet en 1908 que Gustave Fayet et son épouse Madeleine d’Andoque de Sériège font l’acquisition de l’abbaye et de ses dépendances, et très vite Fontfroide va devenir un foyer d’artistes, de musiciens, de peintres et d’écrivains prestigieux. De nos jours, des concerts de musique de chambre, de « master classes » de violoncelle, des enregis-trements de chant grégorien se succèdent dans cette surprenante abbatiale (la nef offre 11 secondes de résonance !).

Le CGP dans le cloître de Fontfroide.


Mais dans l’esprit de ce lieu, le CGP a l’immense privilège de pouvoir chanter sur place l’intégralité des offices de la Semaine Sainte en grégorien (2), avant de donner un concert le jour de Pâques. C’est plus qu’un événement artistique. Le CGP vise donc à rétablir une tradition : chaque membre du Chœur peut ainsi prier en grégorien le cycle liturgique de la journée, au sein d’une vraie communauté, dans un endroit unique. Et l’abbaye de Fontfroide peut retrouver les sonorités de siècles de louange divine  cachées dans le silence. La louange divine pour laquelle cette cité monastique a été bâtie, des profondeurs de la fontaine d’eau froide qui lui donne son nom jusqu’à l’éclat de la Croix qui brille dans le soleil au sommet de la montagne qui surplombe l’abbaye.

                                                                                    Enrique Merello-Guilleminot




(1) Cf. N. d’ANDOQUE & A. MECLE, L’ancienne abbaye cistercienne de Fontfroide, Moisenay : Éditions Gaud, 1996.
(2) Cette année et pour la première fois, la Semaine Sainte s’est déroulée pour le CGP en deux endroits différents de la France : à Fontfroide, et dans la Manche, à l’abbaye de La Lucerne et à Granville